Contre toute attente et un an après la chute d’Evo Morales, le parti MAS s’est imposé au premier tour des élections de ce 18 octobre avec 52% des voix. Le binôme Luis Arce et David Choquehuanca aura donc eu raison du centriste Carlos Mesa et de l’ultraconservateur Luis Fernando Camacho. Comment expliquer cette victoire ?
En réalité, le MAS, fondé par Evo Morales, est aujourd’hui en Bolivie le seul parti réellement structuré et caractérisé par la fidélité de ses électeurs. Depuis 1997, il traversait pour la première fois les élections sans Evo Morales auquel, par ailleurs, le référendum de 2016 avait ôté la possibilité de briguer un quatrième mandat. Le vote exprimé en octobre dernier montre donc que les électeurs n’avaient pas l’intention de mettre fin au MAS. Mais c’était bien l’accession répétée de son fondateur aux commandes de l’Etat qui incommodait un grand nombre de Boliviens. En menant campagne, Luis Arce a par conséquent été en mesure de reconquérir un électorat qui était perdu pour Morales.
Alors que Carlos Mesa y Luis Fernando Camacho ont construit leur discours électoral sur l’éternel clivage MAS/anti-MAS, le Mouvement Au Socialisme a au contraire été capable de développer une argumentation plus novatrice en mettant l’accent sur la crise économique et la nécessité de garantir la stabilité dans ce contexte. Arce a mené campagne en marge des villes, entre autres auprès des populations pauvres et des personnes dont les revenus ont été affectés par le coronavirus. Il a remis en cause la gestion de Morales et a promis un gouvernement composé de nouvelles jeunes têtes. De même, il a assuré qu’il ne gouvernerait que 5 ans et s’appliquerait à relancer le processus de changement. Sa promesse de ne pas poursuivre ceux qui avaient œuvré pour le départ de Morales a achevé de séduire d’autres électeurs.
Alors qu’elles avaient été affaiblies par leur relation clientéliste avec Evo Morales, les organisations syndicales et paysannes ont réussi à se réorganiser après le retrait de ce dernier en novembre 2019, parvenant même à se renforcer au point de paralyser le pays en août pour protester contre le maintien en place du gouvernement de Jeanine Áñez.
Les scandales de corruption et abus de pouvoir qui ont entaché ce gouvernement de transition, aspects qu’il avait pourtant critiqués lui-même dans la gestion de Morales, n’ont pas manqué non plus de servir la cause du MAS. La gestion désastreuse de la crise sanitaire par Jeanine Áñez et les critiques essuyées en termes de démocratie ont eu raison de sa candidature aux élections de 2020 qu’elle s’est empressée de retirer. Ce gouvernement s’était principalement tourné vers les classes sociales plus élevées, dénigrant davantage les populations indigènes. Allié fondamental de l’agroalimentaire, il n’avait pas été capable de prendre des mesures contre la destruction environnementale, en particulier après les millions d’hectares de forêts partis en fumée dans les incendies.
Dans la course à la présidence, la droite est apparue plus fragmentée que le MAS, sans projet véritablement clair pour le pays. Dans la région orientale, généralement acquise aux opposants de Morales, ses erreurs stratégiques ont manifestement aidé le MAS à grapiller des voix.
Ainsi, à Santa Cruz, Luis Fernando Camacho, celui-là même qui avait forcé Morales à quitter la Bolivie, était très populaire. Le MAS, qui restait quant à lui majoritaire à La Paz et Cochabamba, devait absolument éviter que Mesa ne s’impose davantage dans cette région orientale. Le discours émotionnel de Camacho a consisté à flatter l’orgueil identitaire de la région orientale, sans pouvoir se présenter comme un représentant potentiel pour l’ensemble de la nation, stratégie qui lui a permis de conquérir la plupart des opposants au MAS tout en fermant les portes à Mesa. Restaient les indécis issus des secteurs plus pauvres, ceux qui avaient été écartés par les puissants entrepreneurs ou avaient subi des violences lors des mobilisations qui ont précédé le départ de Morales. A ceux-là, Camacho n’a pas été capable de s’adresser et par cette négligence, il a fait tomber 35% des votes dans l’escarcelle du Mouvement Au Socialisme.
Au-delà de cette victoire inespérée, les défis à relever pour le MAS restent de taille. La conjoncture politique actuelle va nécessiter des accords avec les autres acteurs politiques, exercice dont le MAS n’est pas très coutumier, en particulier après des années d’hégémonie politique. Sur le long terme, les élites traditionnelles, qui ont une forte tendance à l’oligarchie, pourraient toujours profiter des failles du MAS et de ses partisans. Alliées de la classe moyenne issue des milieux militaires et politiques, elles gardent une force suffisante pour miner les bases du projet de leur adversaire, ce que le MAS ne doit pas sous-estimer. Le MAS devra également montrer qu’il est capable de corriger les erreurs commises lorsqu’il était au pouvoir et de faire des propositions alternatives à tous les niveaux. Les prochains mois seront déterminants pour sa réorganisation interne. Il peut en outre s’attendre à ce qu’Evo Morales et ses partisans fassent tout pour contrôler le gouvernement.
La gravité de la crise économique sera un gros caillou dans la chaussure de la nouvelle équipe à la tête de l’Etat. Elle devra répondre à cette question essentielle pour les Boliviens : comment réaliser la stabilité promise et répondre aux innombrables besoins au sein de la population dans ce climat de récession ? Dans ce contexte particulièrement difficile, il sera essentiel de promouvoir l’unité des Boliviens à travers le dialogue et la concertation entre les différents secteurs de la société. Et bien entendu, l’ombre de toute corruption lui serait fatale et serait particulièrement mal vécue par une population confrontée à une crise sans précédent.
Sources :
« Por qué volvió a ganar el MAS ? Lectura de las elecciones bolivianas » par Fernando Molina, Julio Córdova Villazón, Pablo Ortiz, Verónica Rocha Fuentes- Nueva Sociedad, octobre 2020 https://nuso.org/articulo/Bolivia-Luis-Arce-Evo-Morales/
« Porque ganó Lucho & David en las elecciones de Bolivia » par Pablo Solón, Fundación Solón, 19/10/2020 https://fundacionsolon.org/2020/10/19/porque-gano-lucho-david-en-las-elecciones-de-bolivia/