Non à la défédéralisation de la Coopération belge !*

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La NVA y est favorable. Ce serait une erreur cruciale et historique

À l’heure d’écrire ces lignes, différents partis politiques négocient en vue de former une nouvelle coalition gouvernementale au niveau fédéral. La NVA, le parti sorti vainqueur des élections en Flandre, est favorable à la défédéralisation de la Coopération au développement. Un telle réforme serait une erreur cruciale et historique. Explications.

Même si cela reste vague dans leur programme, l’analyse par le Bureau du Plan démontre que cette initiative de la N-VA implique la suppression des dépenses fédérales en matière d’Aide publique au développement (APD), mais aussi la suppression complète de la Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire (DGD) tout en maintenant paradoxalement les conventions multilatérales et multinationales au niveau fédéral. Quoi qu’il en soit, la menace d’une défédéralisation complète (le gouvernement fédéral ne conserve aucune compétence en matière de coopération) ou partielle (le gouvernement fédéral ne conserve que la compétence pour les domaines politiques fédéraux ou de certains canaux de la Coopération belge) de la Coopération belge au développement plane donc sur les négociations gouvernementales.

Or la Coopération belge au développement est déjà une compétence dite « parallèle », comme l’a
confirmé à plusieurs reprises le Conseil d’État. Cela signifie que tant le gouvernement fédéral (pour tous les domaines politiques, tant fédéraux qu’étatiques) que les entités fédérées (pour les domaines politiques relevant de leurs compétences) sont autorisés à s’engager dans la Coopération au développement. Les entités fédérées, en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie, ont donc déjà leur politique de Coopération au développement, avec leurs propres budgets, priorités et pays partenaires. Permettre aux entités fédérées de déterminer leur politique de Coopération au développement n’est donc certainement pas un argument valable en faveur d’une défédéralisation.

Plus fondamentalement, tant une défédéralisation complète que partielle de la Coopération belge au développement pourrait violer les principes constitutionnels fondamentaux de la politique étrangère et serait juridiquement problématique. En effet, le principe fondamental de compétence de la Belgique en matière de relations extérieures « in foro interno et in foro externo » implique que chaque niveau de compétence est également compétent à l’extérieur (à l’étranger) pour ce pour quoi il est compétent à l’intérieur (en Belgique). Cela signifie que le gouvernement fédéral ne peut jamais être privé de sa compétence en matière de Coopération au développement en ce qui concerne les matières pour lesquelles il est compétent dans l’ordre juridique interne de la Belgique. À l’inverse, l’article 167§1 de la Constitution stipule très clairement que la compétence des entités fédérées en matière internationale est limitée aux matières pour lesquelles elles sont compétentes dans l’ordre juridique interne. Ce même article de la Constitution stipule également très clairement : « Le Roi (lire : le gouvernement fédéral) est chargé des relations extérieures ». La Constitution attribue donc exclusivement au niveau fédéral la direction et la coordination de la politique étrangère, y compris la Coopération au développement. Même si l’on souhaitait une défédéralisation partielle, impliquant de passer à un système de compétences exclusives (dans lequel le gouvernement fédéral ne serait compétent pour la coopération au développement qu’en ce qui concerne les domaines politiques fédéraux), cela violerait l’article 167§1 de la Constitution.

Même si l’on choisissait d’ignorer les principes constitutionnels, la défédéralisation de la Coopération au développement ne serait de toute façon possible qu’en adoptant une nouvelle loi spéciale, selon l’avis du Conseil d’État du 23 octobre 2003. En effet, celui-ci stipule que «  ledit article 6 ter [article intégré dans la loi spéciale du 8 août 1980 concernant la défédéralisation de la Coopération] n’est qu’une déclaration de principe de sorte que, en l’absence d’une loi spéciale précisant plus en détail le transfert de compétences, le gouvernement fédéral conserve sa compétence actuelle en la matière, même après le 1er janvier 2004 » . Or pour adopter une loi spéciale, celle-ci doit avoir l’aval de la majorité des deux tiers à la Chambre et au Sénat, mais aussi la majorité dans chaque groupe linguistique, à la Chambre et au Sénat.

Outre ces arguments juridiques, la défédéralisation tant complète que partielle aurait surtout des conséquences dévastatrices pour l’efficacité de la Coopération au développement elle-même. Une fragmentation budgétaire et politique accrue entraînerait une augmentation considérable des frais institutionnels et administratifs. Il en résulterait que plus d’argent resterait en Belgique et que moins d’argent serait effectivement consacré à la Coopération au développement. Cela impliquerait également des difficultés supplémentaires en termes de représentation et de contribution auprès d’autres États et organisations internationales ou multilatérales, avec la multiplication des frais et du personnel de représentation. Une défédéralisation entraînerait aussi une dilution de l’expertise belge (DGD, Enabel, BIO) et une baisse de la qualité du suivi, avec une multiplication (et donc un coût plus élevé) des différents systèmes d’évaluation. Sans même parler du risque de dispersion géographique des financements, la cohérence de la politique de coopération serait aussi gravement compromise, étant donné que 5 à 6 ministres différents poursuivraient chacun leur propre politique avec un budget substantiel – là où aujourd’hui, un ministre fédéral gère la majeure partie du budget de la Coopération au développement. La fragmentation, qui a été reprochée au secteur pendant des années, n’en serait qu’augmentée par la faute des dirigeants politiques eux-mêmes. Tout cela aurait des conséquences dramatiques pour les partenaires de la Coopération belge au développement.

Enfin, la défédéralisation serait également désastreuse pour la réputation de la Belgique dans le monde. La Coopération au développement, outre ses objectifs premiers, permet également à la Belgique d’accroître sa visibilité internationale. Priver l’État fédéral de tout ou partie de ses compétences en matière de Coopération au développement aurait donc pour conséquence, du fait de la fragmentation évoquée, d’affaiblir gravement la position de la Belgique. En outre, de nombreuses organisations internationales ne traitent généralement qu’avec les États nationaux, et non avec les entités fédérées. Cela impacterait aussi la capacité de la Coopération belge à parler d’une seule voix dans les espaces européens (Team Europe) et multilatéraux. L’impact négatif en termes d’image, de crédibilité et de réputation au niveau international serait donc majeur. C’est d’ailleurs avec beaucoup d’inquiétude que l’OCDE elle-même avait mentionné, dans son Examen par les Pairs de la Belgique en 2001, que l’idée d’une défédéralisation « préoccupe les membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE (CAD), à un moment où la communauté internationale recherche une plus grande cohérence des politiques, une meilleure coordination et intégration des stratégies, et une plus grande efficacité sur le terrain […] Les autorités belges devraient […] opter, dans l’hypothèse d’une défédéralisation, pour une approche minimale garantissant que l’administration fédérale conserve, en matière de coopération, les compétences et les moyens d’assurer la cohérence, l’efficacité et l’impact sur le terrain  ».

La défédéralisation partielle de la Coopération belge, que ce soit de certaines compétences seulement, ou de certains acteurs seulement, comporte exactement les mêmes risques, voire plus. En effet, par exemple, le seul transfert de la coopération non-gouvernementale n’aurait aucun sens, car elle n’apporterait aucun avantage, mais nuirait aux efforts de synergies entre les différents canaux de la Coopération belge. En outre, le secteur non-gouvernemental se compose de nombreuses organisations de la société civile nationales (Action Damien, Fairtrade Belgique, HI Belgique, Plan International Belgique, MSF, Caritas, Oxfam Belgique, VSF, WWF, FIAN, SFCG, SOS Villages d’Enfants, UNICEF Belgique, etc.) qui concentrent une part significative des subsides fédéraux. Ces ONG nationales devraient dédoubler les procédures administratives auprès des différentes régions, ce qui occasionnerait des pertes de temps et d’argent inutiles.

En outre, le transfert des compétences risque de s’opérer sans que l’ensemble des budgets correspondants soient transférés aux régions. Selon différents médias qui ont analysé la « Supernota » de Bart De Wever (note servant de base aux négociations gouvernementales de l’Arizona finalement rejetée à la fin du mois d’août 2024), il y était question de « mettre les entités fédérées à contribution en leur demandant d’assumer pour moitié certaines compétences dites “usurpées » qui ne devraient pas être prises en charge par le fédéral, comme la Coopération au développement ou la politique scientifique ». Si des clarifications restent nécessaires sur les compétences et les acteurs dont il est question, il était visiblement envisagé de faire une coupe dans la Coopération belge au niveau fédéral de 636 millions € sur 5 ans, soit une coupe de 127 millions € par an . Or un tel montant représente cinq fois le budget actuel pour la Coopération internationale de Wallonie-Bruxelles International (WBI). Cela entraînerait en outre une baisse de l’APD belge, alors qu’elle est déjà loin de respecter l’engagement de 0.7% du Revenu national brut (RNB).

En conclusion, en plus de nous éloigner de nos engagements internationaux, tant la défédéralisation complète que partielle n’entrainerait aucune valeur ajoutée pour la Coopération au développement, bien au contraire : il ne s’agirait que d’une décision purement politique, voire démagogique, et non une recherche d’efficacité pour la Coopération belge. Cela entraînerait une augmentation des charges administratives et des frais qui en découlent, une fragmentation de l’aide belge et une baisse des moyens disponibles pour financer les objectifs de développement durable dans les pays partenaires. La situation actuelle de la Coopération au développement en tant que compétence parallèle offre les meilleures garanties pour une Coopération au développement efficace dans le respect des compétences des entités fédérées. Ce serait donc une erreur cruciale et historique de la laisser (et par conséquent les personnes vulnérables dans le le monde) devenir la victime d’une régionalisation dogmatique qui ne prend pas en compte les critères d’efficacité de l’aide au développement.

Ce texte est extrait du rapport annuel 2024 sur la Coopération belge au développement.

(*) Frères des Hommes reproduit ici l’article diffusé via le site du CNCD